L'IA dans l'éducation : systèmes éducatifs et politiques éducatives
L’intelligence artificielle a envahi notre quotidien et il est impossible d’ignorer sa place dans tous les secteurs de la société, y compris dans l’éducation. Elle est en émergence dans le domaine de l’éducation avec des applications à destination tant des apprenants que des enseignants avec l’objectif d’améliorer la qualité, l’efficacité et l’équité de l’éducation. Dans le précédent article, nous avons donné une définition de l’IA, analysé la place de l’IA au service de l’apprentissage des élèves et les retombées sur l’enseignement. Nous avons essayé de voir dans quelles mesures l’enseignant voit sa place et son rôle modifiés.
Introduction du dossier de l'IA dans l'éducation : Quels enjeux pour enseigner et apprendre avec l'IA ?
L'IA dans l'éducation comme sujet d'enseignement
L'IA dans les systèmes éducatifs - Politiques éducatives
L’objectif du projet IA pour l'éducation est de contribuer à faire en sorte que les principaux acteurs des systèmes éducatifs nationaux soient prêts et aptes à exploiter le potentiel de l’IA. Ceci afin de garantir une éducation inclusive, équitable, de qualité et des opportunités d’éducation tout au long de la vie pour tous. Des standards pour l 'IA et l'éducation ne sont-ils pas nécessaires pour relever tous les défis éthiques, techniques et pédagogiques ? Quel est l'état d'avancement au niveau international permettant d'exploiter l'IA et élaborer des politiques éducatives sur l'IA ?
Comment l’IA transforme le secteur de l’éducation ?
Dans les articles précédents, nous avons montré comme l’intelligence artificielle pouvait transformer le secteur de l’éducation. Car elle permet de proposer des parcours personnalisables aux élèves, de décomposer le curriculum avec une construction progressive des notions et des concepts à tous les niveaux de la maternelle à l’université. L’état de l’art du rapport de l’UNESCO prend en compte un modèle avec « 6 niveaux d’automatisation de l’apprentissage personnalisé ». Il articule les différents rôles de l’IA, des enseignants et des apprenants. Et montre comment les solutions hybrides homme-IA combinent les forces de l’intelligence humaine et artificielle pour mettre en œuvre des solutions personnalisées d’apprentissage. De plus, nous avons vu que l’IA pose le problème de la conception des programmes, sur l’individualisation de l’apprentissage et sur l’évaluation, offrant des aperçus prometteurs sur l’avenir. Enfin, d’énormes défis éthiques, techniques et pédagogiques à venir sont bien réels, comme nous le précise Holmes :
« nous devons mesurer le risque réel que les progrès rapides des services technologiques d'intelligence artificielle dépassent la capacité des systèmes éducatifs à les comprendre, les gérer et les intégrer de manière appropriée. »
Holmes - UNESCO Tweet
Le Conseil Supérieur de l’Education
Comme nous le montre l’exemple de la Chine, l’IA ne peut pas se mettre en place d’une manière spontanée. Car elle soulève la place et le rôle des institutions pour développer l’IA. Il est important de réfléchir sur la façon dont l’IA elle-même soulève des problèmes éthiques dans les dispositifs d’apprentissage et d’enseignement. Qu’en est-il de l’IA qui peut prendre des orientations avec des dérives possibles ? (Surveillance à outrance, remplacement éventuel de l’enseignant par la machine…). Comment l’IA se développe-t-elle à partir de données recueillies ? Le CSE pointe les dérives possibles de son usage en éducation. « La conception des algorithmes, des données incomplètes ou inexactes sont en effet susceptibles d’induire un « catalogage » des élèves. Et une uniformisation des parcours ou une standardisation de l’évaluation des apprentissages. De plus, les biais conscients ou inconscients peuvent également être renforcés et ainsi accroître les inégalités, la discrimination ou les préjugés ».
Comment mettre en place un projet d’IA pour l’éducation ?
Il est important de pouvoir contribuer à faire en sorte que les principaux acteurs des systèmes éducatifs nationaux soient prêts et aptes à exploiter le potentiel de l’IA. En outre, il faut garantir une éducation inclusive, équitable et de qualité et des opportunités d’éducation tout au long de la vie pour tous. Des standards pour l’IA et l’éducation ne sont-ils pas nécessaires pour relever tous les défis éthiques, techniques et pédagogiques. ?
Source : L’intelligence artificielle en éducation : un aperçu des possibilités et des enjeux - CSE novembre 2020
La mobilisation des institutions
En outre, quel est l’état de l’avancement au niveau international et européen pour exploiter l’IA et élaborer des politiques éducatives sur l’IA ?
En France :
Une mission d’information sur la stratégie française et européenne en intelligence artificielle a été confiée à Cédric Villani par le premier Ministre :
Rapport Villani – Donner un sens à l’intelligence l’artificielle 2018
Comme nous le précise ce rapport :
« l’Intelligence artificielle ouvre de nouvelles opportunités pour former un grand nombre d’individus de manière personnalisée et adaptative. Pour soutenir l’émergence d’initiatives « edtech » en phase avec les valeurs de notre système éducatif. Il est donc temps de mettre en place une politique volontariste sur la gouvernance des données et l’acquisition de dispositifs edtech innovants. Cet état de fait pénalise en premier lieu les élèves en difficulté et les décrocheurs. Alors, on peut imaginer que le développement de solutions d’apprentissage personnalisées, fondées sur l’IA, pourra considérablement aider les enseignants à déployer des méthodes différenciées. »
Pour l’UNESCO :
De son côté, L’UNESCO a publié le Consensus de Beijing sur l’intelligence artificielle (IA) et l’éducation. Il s’agit du premier document proposant des conseils et des recommandations sur les meilleures façons d’exploiter les technologies d’IA pour la réalisation de l’ Agenda Éducation 2030. Le Consensus a été adopté lors de la Conférence internationale sur l’intelligence artificielle et l’éducation. Elle s’est tenue à Beijing du 16 au 18 mai 2019. Et a rassemblé plus de 50 ministres, représentants internationaux de plus de 105 États membres et près de 100 représentants d’agences des Nations Unies, d’institutions universitaires, de la société civile et du secteur privé.
Voici les recommandations aux acteurs éducatifs des États membres de l’UNESCO :
- « Planifier l’IA dans les politiques de l’éducation pour tirer parti des possibilités et relever les défis qu’apportent les technologies d’IA. Adopter des approches engageant le gouvernement tout entier, intersectorielles et multipartites qui permettent aussi de mettre en place des priorités stratégiques locales pour atteindre les objectifs de l’ODD.
- Soutenir le développement de nouveaux modèles rendus possibles par les technologies d’IA pour la fourniture de services d’éducation et de formation là où les avantages [de l’IA] l’emportent clairement sur les risques. Et utiliser des outils d’IA pour proposer des systèmes d’apprentissage tout au long de la vie qui permettent un apprentissage personnalisé à tout moment, en tout lieu, pour tous.
- Envisager l’utilisation de données pertinentes, le cas échéant, afin d’encourager la planification de politiques fondées sur des données probantes.
- Veiller à ce que les technologies d’IA servent à autonomiser les enseignants au lieu de les remplacer. Et développer des programmes appropriés pour le renforcement des capacités, afin que les enseignants travaillent aux côtés des systèmes d’IA.
- Préparer la prochaine génération de travailleurs, en l’équipant des valeurs et des compétences nécessaires pour la vie et au travail, les plus pertinentes à l’ère de l’IA.
- Promouvoir une utilisation équitable et inclusive de l’IA, indépendamment du handicap, du statut social ou économique, de l’origine ethnique ou culturelle ou de la situation géographique. Ceci en insistant sur l’égalité des sexes, tout en assurant des usages éthiques, transparents et vérifiables des données éducatives ».
Un cadre éthique pour l'IA nécessaire dans l'éducation
L’UNESCO est prête à aider les gouvernements et les autres parties prenantes à développer leurs capacités à relever les défis, notamment par le biais de l’évaluation de l’impact éthique. Pour Gabriela Ramos, sous-directrice générale pour les sciences sociales et humaines de l’UNESCO :
« La recommandation sur l’éthique de l’intelligence artificielle servira de modèle pour l’élaboration d’un consensus mondial autour du "quoi" et du "comment" de la réglementation éthique de cette technologie qui change la donne. »
Gabriela Ramos - UNESCO Tweet
L’Angleterre en a fait un axe de réflexion et a créé l’Institute for Ethical Al in Education. Conçu par Sir Anthony Seldon, Priya Lakhani OBE et le professeur Rose Luckin en été 2018.
Cet institut a pour objectif de développer un cadre éthique. Il permettrait à tous les apprenants de bénéficier de manière optimale de l’IA dans l’éducation. Et ce, tout en étant également protégé contre les risques connus que présente cette technologie.
Dès lors, un cadre éthique de l’IA dans l’éducation (The Ethical Framework for AI in Education) a été mis en place.
Outre les principes d’utilisation éthique de l’Al dans l’éducation, le rapport (et son annexe) suggère des actions pour aider à garantir que l’obtention et l’application de l’Al se font de manière éthique. Adoptant une structure simple, le Cadre énonce les principes qui sous-tendent l’utilisation éthique de l’Al dans l’éducation. Et énonce les actions que les dirigeants et les praticiens doivent comment construire une IA authentique, digne de confiance et du monde réel.
En synthèse
- L’IA doit être utilisée pour atteindre des objectifs éducatifs bien définis basés sur de solides preuves sociétales, éducatives ou scientifiques, afin que cela profite à l’apprenant.
- Elle devrait être utilisée pour évaluer et reconnaître un plus large éventail de talents des apprenants.
- L’IA doit augmenter la capacité des établissements d’enseignement tout en respectant les relations humaines.
- Les systèmes d’IA doivent être utilisés de manière à promouvoir l’équité entre les différents groupes d’apprenants et non de manière discriminatoire à l’encontre d’un groupe d’apprenants.
- L’IA devrait être utilisée pour augmenter le niveau de contrôle que les apprenants ont sur leur apprentissage et leur développement.
- Un équilibre doit être trouvé entre la confidentialité et l’utilisation légitime des données pour atteindre des objectifs éducatifs bien définis et souhaitables.
- Les humains sont en fin de compte responsables des résultats scolaires et devraient donc avoir un niveau approprié de surveillance du fonctionnement des systèmes d’IA.
- Les apprenants et les éducateurs doivent avoir une compréhension raisonnable de l’intelligence artificielle et de ses implications.
- Les ressources d’IA doivent être conçues par des personnes qui comprennent les impacts qu’elles auront.
Publication de l’OCDE
Par ailleurs, une dernière publication de l’OCDE (Juin 2021) offre des conseils aux décideurs politiques pour comprendre l’intelligence artificielle et répondre aux défis et aux opportunités en éducation présentés par l’IA. Plus précisément, il présente les éléments essentiels de l’IA tels que sa définition, ses techniques, ses technologies, ses capacités et ses limites. De plus, il décrit les pratiques émergentes et l’évaluation des avantages et des risques sur l’utilisation de l’IA pour améliorer l’éducation et l’apprentissage. Et pour assurer aussi l’inclusion et l’équité, ainsi que le rôle réciproque de l’éducation dans la préparation des humains à vivre et à travailler avec l’IA.
Stratégie : IA et maturité
L’intelligence artificielle ne s’improvise pas dans l’éducation. Les modèles de maturité peuvent nous aider à comprendre les technologies émergentes. Par exemple, ils sont bien établis dans l’espace analytique et se sont avérés utiles pour discuter de l’analyse de l’apprentissage.
Des types de modèles de maturité « IA » axés sur l’éducation sont proposés par l’étude JISC :
Source : AI in tertiary education - Jisc avril 2021
Comme précisé dans l’étude Jisc, la plupart des établissements d’enseignement (UK) en sont aux premiers stades du modèle de maturité. Ils cherchent à comprendre comment l’IA peut être utilisée et quel est son potentiel. De plus, les compétences des enseignants et des responsables de l’éducation dans le déploiement de ces technologies de pointe sont à prendre en compte dans l’adoption d’une approche stratégique dans la prolifération de l’IA. Et les enseignants doivent comprendre l’IA et avoir les compétences pour l’utiliser efficacement. Notamment si celle-ci doit devenir une technologie grand public. Il existe désormais des bases pour permettre une adoption plus poussée de l’IA dans les collèges et les universités.
Quid de la France ?
En France, le Ministère de l’éducation (DNE) a inscrit l’IA pour l’éducation dans sa feuille de route.
Des recherches et expérimentations mettant en œuvre les potentialités pédagogiques majeures du recueil et de l’analyse des données au bénéfice des élèves, des enseignants et des chercheurs sont lancés. Et ce d’une part à travers des projets comme le Partenariat d’Innovation en Intelligence Artificielle P2IA (démarrage fin 2019). Et d’autres part dans le cadre du Plan Langues vivantes, sur l’expérimentation d’un assistant vocal pour l’apprentissage de l’anglais à l’oral pour les élèves du 1er degré.
Ainsi, Axel Jean de la DNE a présenté le principe de l’IA pour l’éducation dans le cadre du Partenariat d’innovation P2IA. Il précise que le PiiA débute par une phase de recherche et développement (R&D) en classe. Et elle est suivie d’une possibilité d’industrialisation et de généralisation. Elle représente ainsi une occasion de contribuer à une découverte et une acculturation des enseignants, des élèves. Mais aussi des familles aux sujets relatifs à l’IA dans un cadre éthique garanti par le ministère pour enseigner et apprendre au XXIème siècle.
Pour en savoir plus, découvrez le webinar Intergep IA#6 – Atelier 4 – Axel Jean (DNE) lors de la réunion des groupes disciplinaires d’expérimentation du 28 01 2020 – Class’Code – CAI :
Voici des extraits de la présentation de la feuille de route DNE par Axel Jean :
Objectif : Assister et accompagner les enseignants dans la différenciation et la personnalisation des apprentissages grâce à des solutions numériques innovantes basées sur des services d’IA.
Modalités : Mobiliser les théories et réaliser les services numériques basés sur l’IA en vue de proposer des solutions capables de « traiter » des données, d’assister et d’interagir avec des humains pour apprendre.
Périmètre :
Une partie des apprentissages fondamentaux en français (lecture et écriture) et mathématiques (nombres et calculs, géométrie) au cycle2.
Pour compléter la réflexion, un dossier a été consacré autour des learning analytics : productions finales de la DNE du Ministère, co-animé par l’Université de Pierre et Marie Curie (LIP6-MOCAH) et l’Université de Poitiers (TECHNE).
Conclusion
L’intelligence artificielle (IA) est susceptible d’apporter des réponses aux plus grands défis pédagogiques actuels. D’inventer de nouvelles pratiques d’enseignement et d’apprentissage. L’IA apporte déjà une réelle valeur ajoutée à l’éducation comme nous l’avons montré dans ces articles. Cela vaut la peine de réfléchir au rôle que les politiques éducatives veulent accorder à l ‘IA dans l’expérience d’enseignement et d’apprentissage. Le but étant de soutenir l’enseignant plutôt que de le remplacer.
Alors, pour aider les décideurs, l’OCDE s’est emparée du sujet avec un guide à leur disposition. De son côté, la Commission Européenne va prochainement élaborer des lignes directrices éthiques sur l’IA et l’utilisation des données dans l’enseignement et l’apprentissage. Afin d’aider les citoyens à comprendre le potentiel que recèlent les applications de l’IA et l’utilisation de données dans le domaine de l’éducation et de les sensibiliser aux risques qui peuvent y être liés. Comme nous le précise le CSE (Conseil supérieur de l’éducation), « les systèmes devraient s’inscrire dans une démarche de recherche du bien commun et dans le respect de la personne et de la diversité. Ces enjeux entraînent une responsabilité nouvelle pour les systèmes éducatifs, car l’IA ne doit pas demeurer une boîte noire pour la population. »
Michèle Drechsler est docteur en sciences de l’information et de la communication et Inspectrice de l’Education Nationale IEN retraitée. Passionnée par l’intégration du numérique dans l’éducation et la formation, elle a pu développer des expertises dans de nombreux domaine (Innovation, recherche, pilotage, gestion des connaissances…). Repenser la façon dont on apprend, dont on enseigne avec les potentialités du numérique a été un fil conducteur de sa carrière.
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