Les enjeux environnementaux et l’IA
La première partie de ma thèse professionnelle vise à dresser un état des lieux du contexte environnemental. Et ce, au travers de l’analyse de rapports environnementaux, de documents cadres, de textes législatifs. Ils ont pour objectif de mieux évaluer les enjeux climatiques, de mesurer la nécessité de s’engager dans une démarche éco responsable et d’anticiper ainsi des réglementations à venir vis-à-vis des technologies de l’IA.
Le contexte environnemental
Les alertes sur le réchauffement climatique ont commencé à s’intensifier réellement dans les années quatre-vingt. La première conférence de l’ONU sur le climat (Conference of the Parties – COP) s’est déroulée à Berlin en 1995. Bien que celle-ci n’ait pas abouti à des mesures concrètes, les 120 gouvernements présents prirent acte de la gravité de la situation. Deux ans plus tard, le protocole de Kyoto fixait comme objectif de réduire de 5% les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2012. Aujourd’hui, les impacts du réchauffement climatique se font de plus en plus ressentir et il y a urgence à se tenir à des objectifs beaucoup plus ambitieux. Plusieurs éléments viennent renforcer la prise de conscience et incitent à l’action. De nombreux rapports, dont ceux du GIEC encore récemment publiés, ont permis de mieux comprendre l’impact des activités humaines sur la planète et ne permettent plus de nier le phénomène du réchauffement climatique. Régulièrement des accords sont établis par de nombreux états lors des différentes COP et des objectifs sont définis pour limiter notamment l’usage des énergies fossiles responsables des émissions de GES. Malgré cela, la situation environnementale n’est pas bonne et un certain nombre de feuilles de route et de textes de loi commencent à apparaître dans le domaine du numérique et de l’intelligence artificielle. C’est également sans compter sur les évolutions de la société où les citoyens plus sensibilisés et mieux formés aux problèmes environnementaux appellent à l’action et font preuve de militantisme. L’objectif de cette première partie est donc de dresser un tour d’horizon de ces différentes dimensions du contexte environnemental.
Les rapports et enquêtes
Rapport du GIEC
Crée en 1988 à l’initiative du G7, le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) réunit des centaines d’experts éminents chargés d’analyser scientifiquement les changements climatiques. Les rapports du GIEC fournissent aux gouvernements et aux décideurs les éléments pour définir leurs orientations et servent de base aux négociations des COP. Ils fournissent également des éléments pour l’évaluation des 17 objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies. Cinq rapports d’évaluation ont déjà été publiés depuis 1990. Trois groupes de travail ont été mis en place au GIEC pour la rédaction du 6ème rapport dont la synthèse est prévue pour le 3 octobre 2022 :
- Groupe 1 : Sciences physiques du changement climatique / rapport du 09 août 2021
- Groupe 2 : Impacts, adaptation et vulnérabilité / rapport du 28 février 2022
- Groupe 3 : Atténuation du changement climatique / rapport du 04 avril 2022
Le rapport du groupe 1 se concentre sur 5 scénarios. Sur un scénario intermédiaire d’émission de CO2, le rapport indique une forte probabilité que le seuil de +2°C de réchauffement soit dépassé au cours du 21ème siècle. Le seuil de 1,5°C devrait être dépassé entre 2021 et 2040 et le réchauffement se poursuivra au moins jusqu’en 2050. Pour éviter un réchauffement de 2°C, il est indispensable de réduire immédiatement et fortement les émissions de GES mais également de façon durable et généralisée. Pour atteindre cet objectif, les pays industrialisés doivent diviser leurs émissions de gaz à effet de serre par quatre d’ici à 2100.
Le rapport du groupe 2 porte sur les impacts, les vulnérabilités et les capacités d’adaptation à la crise climatique. Celui-ci met en évidence les impacts déjà observables du réchauffement climatique sur les écosystèmes et les sociétés humaines.
Le rapport du groupe 3 traite plus particulièrement de la lutte contre le réchauffement climatique. L’accent est mis sur la nécessité d’agir au plus vite sur la réduction des gaz à effet de serre car ceux-ci n’ont cessé d’augmenter ces vingt dernière années (+12% de plus qu’en 2010, +54% de plus qu’en 2000). Si rien n’est fait l’augmentation de la température de la planète devrait atteindre +3,2°C et entrainer des catastrophes écologiques, économiques, sanitaires et sociales. Pour limiter le réchauffement sous des valeurs seuil de +1,5°C à 2°C, les émissions doivent être réduites en valeur absolue dès aujourd’hui et au plus tard dans les 2 à 3 prochaines années. Bien que les investissements et les efforts à consentir pour lutter contre le réchauffement climatique demeurent importants, les auteurs indiquent que ceux-ci seront bien inférieurs aux coûts de l’inaction.
Enquête sur la perception des risques mondiaux du World Economic Forum
L’enquête sur la perception des risques mondiaux (Global Risks Perception Surver – GRPS) a été actualisée en Janvier 2022 afin de recueillir des informations nouvelles et plus larges auprès des quelques 1 000 experts et dirigeants mondiaux qui y ont répondu. Dans le cadre de cette enquête, les personnes interrogées ont classé en risque numéro un pour les dix prochaines années, l’échec à tenir les objectifs climatiques, arrivent ensuite les événements climatiques extrêmes et la perte de la biodiversité. Ce qui constitue une véritable prise de conscience des enjeux climatiques par les acteurs économiques.
Rapport Meadows
Un modèle de croissance insoutenable dénoncé depuis cinquante ans. Le 3 mars 2022 a été réédité le « rapport Meadows » ou « Rapport du Club de Rome ». Publié pour la première fois en 1972 et plusieurs fois actualisé depuis, ce rapport démontrait pour la première fois que la croissance économique ne pouvait continuer indéfiniment dans un monde fini. Pour répondre à la commande du Club de Rome, l’équipe de scientifiques du MIT (Institut de Technologie du Massachusetts) aux États-Unis a alors utilisé un modèle informatique pour montrer que la croissance continue de la production industrielle et de la pollution ainsi engendrée amèneraient à l’effondrement des ressources alimentaires et de la population. Cinquante ans plus tard, très peu des recommandations présentes dans le rapport ont été reprises par les dirigeants. Pour Dennis Meadows co-auteur du texte, il est indispensable de vivre avec moins et il nous faut réduire de moitié notre consommation énergétique. Selon lui, pour évoluer vers un monde « post croissance » plus sobre, il faut faire des changements culturels et cela doit passer par de la pédagogie et de l’apprentissage.
Le rapport de l’ADEME
Le rapport de l’ADEME (Agence de la Transition Énergétique) publié le 30 novembre 2021 présente quatre scénarios pour parvenir à la neutralité carbone pour 2050. Si tous les scénarios visent le même objectif, les impacts sociétaux ne sont pas les mêmes suivant celui retenu. Facteur clé pour atteindre la neutralité carbone, la réduction de la demande en énergie peut aller de 23% à 55% par rapport à 2015. Les quatre scénarios s’intitulent : S1 – Génération Frugale (transition conduite par la contrainte et par la sobriété), S2 – Coopérations territoriales (transformation de la société par une gouvernance partagée), S3 – Technologies vertes (déploiement des technologies et du numérique pour l’efficacité énergétique), S4 – Pari réparateur (capacité à réparer les systèmes sociaux et écologiques)
The Shift Project
Créé en 2010, The Shift Project est un groupe de réflexion dont la mission est d’éclairer et d’influencer le débat sur la transition énergétique en France et en Europe. De nombreuses publications (rapports et notes d’analyse) sont réalisés par les membres de l’association présidée par Jean-Marc Jancovici. Parmi les thématiques traitées qui vont du bâtiment, de l’énergie, de l’industrie, du transport en passant par l’enseignement supérieur, les impacts environnementaux du numérique y trouvent également place. Le 7 février 2022, The Shift Project a présenté son « Plan de transformation de l’économie française (PTEF) ». Fruit d’un travail de deux ans, ce plan a été établi dans la perspective d’une neutralité carbone pour la France en 2050 et une réduction des émissions de GES de 5% par an pour limiter la hausse de la température à +2°C.
Les accords et objectifs
Accord de Paris
Adopté par 193 parties (dont l’Union Européenne) le 12 décembre 2015 à l’issue de la COP21, l’accord de Paris sur le climat est entré en vigueur le 4 novembre 2016. L’objectif de cet accord est de lutter contre les changements climatiques et leurs effets nuisibles. Les objectifs à long terme visent à orienter les nations pour :
- Contenir d’ici à 2100 l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de +2°C, soit 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels,
- Réévaluer à la hausse les engagements des pays signataires tous les 5 ans,
- Soutenir financièrement les pays en développement pour atténuer les changements climatiques,
- Renforcer la résilience et accroitre les capacités d’adaptation aux effets induits par le réchauffement,
L’accord de Paris marque le début d’une transition vers la neutralité carbone pour limiter le réchauffement climatique. 150 états ont soumis en 2020 ou 2021 un nouvel engagement avec un objectif à la hausse mais bon nombre d’engagements de pays en développement sont conditionnés à un soutien financier. D’ici 2030, l’Union Européenne prévoit de réduire les émissions d’au moins 55% d’ici 2030 (l’objectif fixé en 2014 était de 40%). L’objectif final de l’Union Européenne est d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Les émissions mondiales restent cependant en augmentation avec une augmentation sensible d’environ 16% en 2030 par rapport à 2010 (59% de plus qu’en 1990). L’évaluation des progrès au niveau mondial est prévue en 2023 puis tous les 5 ans, la prochaine actualisation des plans en 2025.
COP26
Du 31 octobre au 12 novembre 2021 s’est tenue à Glasgow la COP26, l’occasion de vérifier les résultats des stratégies et des actions décidées dans le cadre de l’accord de Paris. Bien que les négociations aient été difficiles et que les ONG écologistes ont qualifié le « pacte de Glasgow » d’accord en demi-teinte, plusieurs engagements ont été pris pour limiter le réchauffement climatique. Les énergies fossiles, notamment le charbon, sont clairement ciblées. En effet, le pacte prévoit de diminuer le recours aux énergies fossiles (une première historique) et de ne plus les financer d’ici fin 2022 au profit des énergies renouvelables. L’objectif d’une neutralité carbone pour l’horizon 2050 est maintenu et plus de cent pays ont fait l’engagement de réduire leurs émissions de méthane de 30% minimum d’ici 2030.
Les objectifs de l’ONU sur le développement durable (ODD)
Le développement durable s’appuie sur 3 piliers que sont la dimension sociale, la préservation de l’environnement et la performance économique, repris également sous l’acronyme 3P (People, Planet, Profit). Les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD), adoptés par l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 2015, constituent l’Agenda 2030. A chaque objectif sont associées des cibles (169 au total) concernant l ‘éradication de la pauvreté, la protection de la planète et la garantie de la prospérité pour tous à atteindre d’ici 2030. Chaque acteur (États, entreprises, investisseurs, ONG, citoyens, collectivités locales, écoles, …) sont appelés à se mobiliser sur les ODD dans leurs domaines de compétences. Bien qu’adoptés en 2015, l’agenda 2030 et les ODD ne sont pas sur la bonne voie pour être atteints. En 2020, la crise sanitaire, sociale et a impacté fortement plusieurs ODD.
Les documents cadre pour l’IA et le numérique
Depuis quelques années, plusieurs rapports et de feuilles de route sont établis pour cadrer les usages de l’IA et guider les stratégies d’investissement. Une IA sobre et au service de l’environnement devient de plus en plus présente dans les orientations comme on peut le constater sur le schéma ci-dessous :
Les liens des documents analysés plus en détails dans cette partie de la thèse et traitant de ces sujets sont indiqués ci-dessous :
Tendances sociétales
Génération climat
Initié en aout 2018 par la jeune suédoise Greta Thunberg, le mouvement « Friday of the future » (les vendredis pour le futur) a pour objectif de faire pression sur les dirigeants afin qu’ils respectent leurs engagements en matière de lutte contre les changements climatiques. Les militants organisent des grèves scolaires sur tous les continents pour participer à des manifestations et à des rencontres afin de sensibiliser et discuter des actions à mener. Le mouvement revendique 14 millions de personnes, issus de 7500 villes sur tous les continents. La dernière manifestation a eu vendredi 25 mars 2022 et a rassemblé des milliers de manifestants dans plus de 80 pays sous le slogan « PeopleNotProfit » (« Les gens, pas le profit »). En France, c’est notamment la quasi-absence des thématiques climat dans la campagne pour l’élection présidentielle qui a été dénoncée par les participants.
Militantisme étudiant
Le 16 février 2022, des étudiants des prestigieuses universités américaines Yale, Princeton, Stanford, Vanderbilt et MIT ont porté plainte pour obliger leur institution à se désengager des industries polluantes. La plainte vise les allocations annuelles des cinq universités privées qui s’élèveraient à plus de 150 milliards de dollars au total. Réunis au sein de l’ONG Climate Defense Project, les étudiants font valoir que les dommages causés sur le climat, l’écologie et la santé humaine par les industries des combustibles fossiles sont en totale contradiction avec les objectifs éducatifs et les missions de leurs écoles.
En France, le collectif « Pour un réveil écologique », créé en septembre 2018, a lancé un manifeste Étudiant pour un Réveil Écologique pour mobiliser leur établissement sur les questions environnementales, notamment en termes de formation, et pour aider les diplômés à choisir une entreprise suffisamment engagée dans la transition écologique. Plus de 33000 étudiants sont signataires du manifeste et 400 établissements sont mobilisés en Europe. En aout 2019, deux membres du collectif sont intervenus à l’université d’été du Medef pour alerter les entreprises sur les difficultés à venir pour recruter des jeunes diplômes si elles ne s’engageaient pas réellement pour l’environnement.
En janvier 2020, les étudiants de l’école polytechnique ont voté contre l’implantation de l’entreprise Total sur le Campus de Saclay. Face à la fronde des élèves et des associations, TotalEnergies a annoncé renoncer à implanter son centre de recherche qui devait accueillir 400 personnes à proximité de l’école.
Collectifs d’employés
Le 4 novembre 2019, plus de 1000 salariés de Google ont adressé une lettre ouverte à leur entreprise pour qu’elle mette en place des mesures concrètes et plus ambitieuses en faveur de l’environnement afin d’atteindre zéro émission carbone à l’horizon 2030. La lettre réclamait aussi l’arrêt de tout financement de groupements climato-sceptiques. Auparavant, en avril 2019, plus de 8000 salariés avaient de la même manière interpellé Jeff Bezos, fondateur et PDG d’Amazon pour dénoncer l’impact des activités de leur entreprise sur l’environnement. Dans l’esprit des grèves initiées par le mouvement « Friday of the future », des employés d’Amazon, Google et Microsoft se sont joints aux manifestations écologistes pour demander à leurs employeurs de réduire leur impact sur l’environnement. Des investissements importants avaient alors été annoncés la veille de l’événement par le PDG de Google et Jeff Bezos promettait le jour même de passer à 100 % d’énergie renouvelable dans les installations et les opérations d’Amazon d’ici 2030.
Paradoxe des digital natives
Une étude du CREDOC réalisée pour l’ADEME en 2019 a révélé que l’environnement était devenu un enjeu majeur pour les 18-30 ans puisqu’ils le classent en tête de leurs préoccupations devant l’immigration et le chômage. Leur engagement dans des associations de défense pour l’environnement a connu une forte progression depuis 2016. 12% des 18-24 ans ont déclaré faire partie d’une association environnementale en 2019 (contre 3% en 2015), à comparer aux 4% pour l’ensemble de la population. Cependant cette génération « digital native » qui est née et a grandi dans un environnement numérique contribue sans réellement s’en rendre compte à la pollution « invisible » du numérique. Plus de 4h par jour, c’est le temps moyen passé devant un écran pour visionner essentiellement des vidéos en ligne. Un rapport de The Shift Project indique que le visionnage de vidéos en 2018 a généré plus de 300 MtCO2 soit autant que les émissions annuelles d’un pays comme l’Espagne. Plus largement le rapport pose la question de l’évolution des usages dans la transition écologique.
Des jeunes davantage formés
Sous l’impulsion de la loi REEN qui prévoit l’enseignement de la sobriété numérique de la primaire au supérieur, la formation des jeunes, déjà sensibilisés aux enjeux climatiques, devrait donc se développer ces prochaines années. Le rapport du climatologue Jean Jouzel, publié en février 2022, préconise de former 100% des étudiants du supérieur d’ici cinq ans aux enjeux de la transition écologique et du développement durable. The Shift Project a également publié le 10 mars 2022 un rapport final pour transformer les formations d’ingénieur afin d’intégrer dans des cours obligatoires les enjeux socio-écologiques. Pas moins de 200h de formation sur 5 ans permettraient de répondre à ce nouveau référentiel de connaissances et de compétences dont les entreprises sont demandeuses pour honorer leurs engagements écologiques et sociétaux.
Passionné d’innovation et de nouvelles technologies. J’ai travaillé plus de 25 ans dans le secteur de l’enseignement supérieur pour la formation d’ingénieurs. J’ai occupé plusieurs fonctions à commencer par enseignant-chercheur dans le domaine de la construction. J’ai ensuite prise en charge la responsabilité d’un département puis la direction d’une école d’ingénieur.
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